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Euro : l'impossible dilemme allemand

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Euro : l'impossible dilemme allemand Empty Euro : l'impossible dilemme allemand

Message par Tsilfa Sam 21 Juil - 12:33


Roland Hureaux - Chroniqueur associé


L'Allemagne tient aujourd'hui les rênes de la zone euro. Pour notre chroniqueur associé Roland Hureaux, le pays est néanmoins prisonnier d'une insurmontable contradiction. La monnaie unique doit être conservée à tout prix, pour des raisons tout autant économiques que géopolitiques et symboliques. Mais pour ce faire il faut accepter la solution de l'inflation, absolument bannie par les dirigeants allemands.


Si l’Allemagne a limité ses concessions au dernier sommet de Bruxelles, ce n’est pas d’abord parce qu’elle se trouve en position de force, c’est surtout parce que, à ce jour, il n’était pas nécessaire qu’elle aille plus loin pour sauver l’euro.

Pourtant, même si on présente Angela Merkel comme le grand vainqueur de ces sommets, l’opposition allemande n’a pas tort de lui reprocher d’avoir déjà cédé sur des points importants : possibilité pour la Banque centrale européenne de refinancer les banques de l’Europe à hauteur de 1000 milliards d’euros, création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilité (MES), possibilité pour ceux-ci de financer des banques espagnoles et de racheter la dette de certains Etats, possibilités plafonnées il est vrai mais qui auraient été impensables du point de vue allemand il y a quelques mois. En échange, l’Allemagne a obtenu le contrôle des banques par la BCE mais aussi des promesses de rigueur, contenues dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union (TSCG), dont rien n’assure qu’elles seront tenues, pour la bonne raison qu’elles sont impossibles à tenir.

S’il est vrai que l’Allemagne tient aujourd’hui, en dernier ressort, la clef de la survie de l’euro, ce pays se trouve lui-même prisonnier d’une insurmontable contradiction :

Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, sa classe dirigeante veut absolument garder l’euro
Mais la population allemande refuse tout aussi absolument de s’engager dans ce qui constitue le corollaire strict du maintien de l’euro : une solidarité financière européenne.

La solidarité qui est demandée à l’Allemagne peut prendre trois formes :

Des transferts bruts des pays riches de l’Europe, donc en premier lieu de l’Allemagne, vers les pays pauvres, comme la France métropolitaine fait des transferts vers le Massif central ou vers l’outre-mer ;
Une garantie des dettes publiques des pays moins crédibles qui pourrait prendre la forme d’euro-obligations ; les pays empruntant ensemble, les plus pauvres auraient la garantie des plus riches ; en d’autres termes, au lieu de leur verser de l’argent pour investir, l’Allemagne garantirait des emprunts au bénéfice de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie etc.
Le financement de déficits des pays les plus faibles par la création monétaire ; cela n’aurait rien de choquant ; c’est ce que faisaient tous les pays d’Europe au temps des Trente glorieuses. Dans la pratique, le bénéfice de la création monétaire n’irait pas à tous les pays mais seulement aux plus en difficulté, alors que le risque d’inflation qui en découle toucherait l’ensemble de l’Europe, donc l’Allemagne.

Le premier mécanisme de solidarité existe depuis longtemps au travers du Fond européen de développement. Malgré la fausse fenêtre du pacte de croissance de 120 milliards d’euros (dont 70 étaient déjà engagés !), l’Allemagne n’a pas l’intention d’aller au-delà. Elle refuse absolument le second mécanisme tout en garantissant certaines dettes des pays méditerranéens au travers du FESF et du MES qu’elle finance en partie.

Mais elle a été obligée de céder, quoique du bout des lèvres sur le troisième point ; si la banque centrale européenne ne prête pas officiellement aux Etats, elle a pris en pension les titres de dettes souveraines de certains Etats et a ouvert une facilité financière à hauteur de 1000 milliards d’euros au système bancaire européen, le garantissant en partie contre la faillite des Etats. Cet assouplissement a été favorisé par le remplacement de Trichet par Draghi en novembre dernier.

De fait, l’avenir de l’euro est lié à ce troisième mécanisme. L’euro est mis en danger par un phénomène bien connu de tout ensemble économique : les créanciers structurels le restent, les débiteurs structurels le restent aussi ; en dépit de tous les volontarismes, les cigales restent des cigales, les fourmis restent des fourmis. De ce fait les premiers sont obligés de faire de plus en plus crédit aux seconds, quelque forme que prenne ce crédit. Qui dit crédit, dit création monétaire et donc inflation. Le seul moyen de limiter celle-ci est de rompre la spirale de l’endettement, et pour cela, il faudrait une rupture : faillite pour un particulier ou une entreprise, dévaluation pour un Etat. Or l’Europe craint que la faillite des banques ou des Etats ne crée un effet systémique qui entrainerait l’éclatement de l’euro. La seule manière de maintenir l’euro est donc de laisser se développer, à partir du crédit, la «bulle monétaire» ce qui déplait profondément aux Allemands, rétifs à toute forme d’inflation, surtout si elle est une aide déguisée aux plus laxistes.

L'horreur de l'inflation
En d’autres termes, le choix va de plus en plus se faire entre rupture de l’euro et sauvetage par la fuite en avant dans la création monétaire. L’Allemagne a pu jusqu’ici éluder ce choix en acceptant, avec réticence, des mesures inflationnistes limitées. Mais si la crise s’aggrave, que fera-t-elle ? Sa répugnance à aider directement les pays en difficulté se comprend : elle a déjà dû payer beaucoup pour faire entrer dans la république fédérale l’ancienne Allemagne de l’Est. L’aide qui serait nécessaire aux pays du Sud pour les maintenir à flot dans le cadre de l’euro serait incomparablement plus importante que celle que la France métropolitaine apporte à son outre-mer et serait sans doute le tonneau des Danaïdes du fait du mécanisme bien connu selon lequel l’assistance décourage l’effort.

Mais l’Allemagne a une horreur au moins aussi grande de l’inflation. Traumatisée par les deux crises d’inflation galopante qu’elle seule a connues en 1923 et en 1947, ce pays a eu depuis 1948 un taux d’inflation plus faible que tous les autres pays occidentaux, plus faible que la France on le sait, plus faible aussi que l’Angleterre et les Etats-Unis qui voguent de conserve avec la France, plus faible que les pays méditerranéens, a fortiori. Le pari de l’euro était que les différents pays de la zone adopteraient le comportement allemand. On voit que ce n’est pas possible. Si on voulait que la zone euro continue, il faudrait faire le contraire : que toute l’Europe se mettre au rythme des plus faibles (c’est-à-dire ceux qui ont l’inflation la plus forte !) adopter un comportement plus inflationniste, ce qui répugne absolument aux Allemands. La Finlande qui a des performances analogues à l’Allemagne, des prix stables, des finances saines, mais qui a plus de liberté de parole, dit tout haut ce que celle-ci pense tout bas : plutôt quitter l’euro que payer pour les mauvais élèves de la zone !

La classe dirigeante allemande n’en est pas moins très attachée à l’euro. Pourquoi ? Les raisons de cet attachement nécessitent d’être explicitées parce qu’elles sont la clef de l’avenir ; les Français qui surestiment la rationalité de leur partenaire y voient la possibilité pour lui de continuer à exporter plus qu’il n’importe des autres pays de la zone euro, lesquels s’affaiblissent au fur et à mesure que leur balance des paiements se fait plus déficitaire. Le pacte de stabilité budgétaire donnerait à l’Allemagne un contrôle politique de l’Europe.

Malgré ces arguments, de nombreux experts allemands, par exemple Hans Werner Sinn ou Joachim Starbatty, pensent que l’Allemagne perd, elle aussi, plus qu’elle ne gagne à cette expérience : elle perd sa compétitivité par rapport aux pays hors zone euro, elle accumule les créances dans la zone euro dont elle n’est pas certaine qu’elles seront un jour honorées ; l’argent qu’elle prête à ses clients du Sud de l’Europe pour leur permettre de continuer d’acheter est détourné de l’investissement productif.

L'euro, une croyance nécessaire de notre temps
Il faut cependant aller plus loin. Si l‘Allemagne n’était mue que par un intérêt objectif et quantifiable, tout serait négociable : le jour où l’Allemagne doit payer plus que ce que l’euro lui rapporte, elle se retire et c’est tout. Mais son attachement à l’euro est d’un autre ordre que le strict intérêt. Exactement comme la classe politique française, la classe dirigeante allemande adhère à l’euro comme à un mythe, une idéologie dirons-nous.

On ne s’étendra pas sur ce qui fait de l’euro – et de la construction européenne dont il constitue aujourd’hui le principal avatar – un mythe : mythe répondant à une aspiration fusionnelle de nations européenne en pleine crise d’identité (pas seulement sur ce chapitre, mais aussi sur la culpabilité par rapport au passé, le racisme, l’immigration etc.), mythe répondant à une espérance eschatologique : «l’Europe est notre grande espérance» disait Mgr Simon, évêque de Clermont-Ferrand, qui apparemment n’en avait pas d’autre. L’euro maintient une croyance absolument nécessaire de notre temps, celle d’un sens d’histoire, succédané, dans une Europe déchristianisée, de la vielle eschatologie judéo-chrétienne.

A cela s’ajoute le fait que les classes dirigeantes de l’Europe, vivant depuis une génération dans l’horizon de la construction européenne et de l’euro, comme les dirigeants de l’ancienne Union soviétique vivaient dans l’horizon du marxisme-léninisme, n’ont jamais envisagé d’autre futur. Ayant engagé toute leur crédibilité sur la réussite de ce projet, elles se retrouveraient à la fois désorientées et disqualifiées en cas d’échec.

Et comme la réalité résiste de plus en plus à la pérennité de l’euro, cette classe se fait de plus en plus intolérante à la dissidence. C’est bien là que l’on voit que nous avons affaire à un processus de nature religieuse : au lieu d’envisager la fin de l’euro comme une option parmi d’autres qu’il faut préparer sérieusement, elle se ferme haineusement, en France comme en Allemagne, à cette perspective, refusant de la prendre en compte.

La force de l'idéologie
A ces considérations s’ajoute une donnée propre à l’histoire allemande : un homme politique de ce pays, eurocritique, nous disait : «Vous les Français pouvez prendre l’initiative d’en finir avec l’euro. Nous, nous ne le pouvons pas : l’Allemagne a tout cassé en Europe à deux reprises, nous ne pouvons pas prendre l’initiative de le faire une troisième fois. »

Si le sort de l’euro n’était entre les mains que des pays latins, nul doute que le choix serait vite fait, ce serait celui de l’inflation d’abord trottante, puis galopante. Mais en Allemagne l’horreur de l’inflation est telle que le dilemme est plus difficile. Quel sera le choix en dernière instance de ce pays, notamment quand l’aggravation de la crise de l’euro, dans trois ou six mois, exigera des mesures beaucoup plus audacieuses ?

Un groupe de juristes et d’économistes déterminés a obtenu du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe que tout accord européen sur la monnaie soit soumis au contrôle du Parlement. Ira-t-il plus loin ? Ce n’est pas certain. Même réticents aux procédures européennes, le Tribunal conserve le sens, typiquement allemand, de la Gemeinschaft (communauté) et de la Verantwortlichkeit (responsabilité), qui détourne des attitudes de franche rupture. Tout au plus retarde-t-il le délai de réaction aux crises.

Il ne faut donc pas exclure que, pour cette raison ou pour une autre, les marchés prennent les gouvernements de vitesse et imposent la dislocation de la zone euro dans le chaos. Mais sous cette réserve, notre réponse est que l’Allemagne fera néanmoins le choix de l’inflation. Pourquoi ? Parce que l’horreur allemande de l’inflation a encore quelque chose de rationnel alors que l’attachement à l’euro est entièrement idéologique et que l’histoire nous montre que les processus idéologiques vont toujours jusqu’au bout de leur logique, laquelle, pour folle qu’elle soit, s’impose à toutes les autres. L’idéologie, comme l’explique Hannah Arendt, ne s’arrête qu’à la catastrophe, laquelle serait, dans le cas de l’euro, une récession grave, le chômage de masse, la désindustrialisation, combinés avec une inflation généralisée. Quant aux pays du Sud, ce serait la clochardisation générale et un recul économique d’au moins quarante ans (le même que connut l’Union soviétique sous la férule du communisme).

Pourquoi l’Allemagne fera-t-elle, pas à pas, à reculons mais inexorablement le choix de l’inflation, seule manière de prolonger la vie de l’euro ? Parce que l’idéologie est une forme de folie qui va toujours jusqu’au bout et que, tant qu’elle n’est pas arrivée au stade de la « chute finale », tout lui est sacrifié.

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Message par Tsilfa Sam 21 Juil - 12:33

chaud...
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